C’est le quatrième roman de Cyril Carrère. Après Le Glas de l’innocence (pas lu), Grand Froid et Le quatrième rassemblement, il nous a déjà prouvé qu’il savait raconter des histoires et se réinventer au fil de ses écrits. Cette fois, il monte d’un cran, gagne en maturité et s’installe dans la cour des grands avec Avant de sombrer.

Le prologue est percutant et nous scotche dès les premières pages.

Jérôme se souvient… il est au volant de sa voiture, il veut rejoindre son épouse en urgence, elle est en pleine crise de colère et menace de le quitter. La pluie torrentielle, la route glissante, la vitesse et l’accident. Il se réveille à l’hôpital de Toulouse, après dix jours de coma, avec ce souvenir ancré dans sa mémoire. Il est perdu car il habite Nîmes et il ne comprend rien quand un médecin et son avocat viennent lui expliquer que son histoire est toute autre. Il n’a pas eu d’accident de voiture mais a subi une violente agression en prison, où il purge une longue peine pour le meurtre de sa femme.

Un véritable cauchemar commence pour Jérôme en proie à la confusion la plus totale.  Est-il possible que sa mémoire défaille à ce point ? Comment va-t-il tirer sur le fil des souvenirs pour démêler le vrai du faux ? A-t-il réellement tué sa femme ? Jérôme est-il une victime ou un bourreau ? On est immergé en plein brouillard dans une intrigue complexe et un véritable casse tête. On va suivre Jérôme qui cherche à se remémorer son passé avec l’aide de Sylvia la psychologue. On tourne les pages plongés dans la même ignorance que lui et c’est très excitant de ne pas savoir. Ses faux souvenirs sont ils liés à son agression ? Ou sont-ils induits ?

De prime abord, tout laisse penser que la mémoire, ses troubles et le syndrome du faux souvenir sont au coeur de l’histoire.  Mais il n’en est rien et c’est la grande originalité de ce roman. La mémoire n’est qu’un fil rouge qui permet de dérouler l’intrigue en captivant le lecteur. Il faudra remuer les couches plus profondes pour découvrir la véritable thématique, celle qui hérisse tous les poils du dos par sa noirceur. L’auteur est scientifique de formation, ses thématiques sont étudiées minutieusement, c’est précis sans jamais ennuyer le lecteur.

Deux temporalités s’alternent, le présent et le passé complètement flou. Le jeu entre les deux insuffle une belle dynamique au récit, je vous mets au défi de lâcher votre lecture en route. Au fil des chapitres courts, c’est un véritable puzzle qui prend forme sous nos yeux. Un puzzle dont les pièces sont différentes des originales et qui pourtant s’imbriquent parfaitement les unes aux autres. De quoi devenir fou !

L’AMBIVALENCE est un maître mot dans ce roman. Ambivalence du titre, de la construction, de l’intrigue. Et surtout des personnages aux motivations plus que troubles. Ils sont attachants et finement construits.

Il faut un sacré talent pour dérouler une intrigue aussi dense que celle ci sans jamais perdre le lecteur. Plus la complexité augmente, plus les ramifications se multiplient, plus on est captivé et tenu en haleine. Le secret réside dans le soin apporté à la construction, une mécanique de précision travaillée et peaufinée dans les moindres détails, un engrenage parfaitement huilé qui apporte une grande fluidité de lecture. Cyril Carrère est passé maître dans l’art de la manipulation pour notre plus grand plaisir. On se fait des noeuds dans les neurones et c’est une vraie jouissance.

Les chapitres défilent à toute allure, la fin approche, les rebondissements se multiplient, les émotions se bousculent et la tension devient insupportable jusqu’au final qui laisse sans voix.

Ah j’ai oublié de vous parler de la plume de l’auteur. Elle a bien évolué, toujours aussi visuelle, elle se fait plus fluide et plus incisive.

Au final, un thriller psychologique bien plus profond qu’il n’y paraît et qui réunit tous les ingrédients d’un excellent divertissement. Une réussite totale !

Pour ceux qui se posent la question, je précise que tous les romans de Cyril Carrère sont des one shot. Et que Grand Froid et Le quatrième rassemblement ressortent aux éditions Chambre Noire.

Je remercie chaleureusement les éditions Denoël pour leur confiance.

Quatrième de couverture

Et si on vous annonçait que vous avez tué ? Lorsque Jérôme Cazenave se réveille dans une chambre d’hôpital, tout lui revient à l’esprit. L’échange téléphonique houleux avec sa femme. L’urgence de la situation. Sa terrible sortie de route en rentrant de Nîmes. C’est en tout cas ce qu’il soutient au médecin qui le regarde avec circonspection. Mais quand un avocat qui prétend le connaître s’invite à son chevet pour lui présenter une autre version de l’histoire, la confusion s’installe. Non, il n’a pas eu d’accident de voiture. Il a été violemment agressé à Lannemezan, dans la prison où il purge une longue peine… pour le meurtre de son épouse. Afin de recouvrer sa liberté, Jérôme doit résoudre les mystères d’un passé qui lui est étranger. Au risque de faire ressurgir le monstre qui l’a englouti…

Editeur : Denoël, 352 pages, date sortie : 8 mars 2023