Le crépuscule de la Veuve Blanche – Cyril Carrère

J’avais adoré La colère d’Izanagi. Avec ce deuxième tome, j’ai retrouvé tout ce que j’avais aimé — et bien plus encore. Cyril Carrère signe un second volet de la Cellule Sakura à la fois sombre, envoûtant et d’une parfaite maîtrise. Le Crépuscule de la Veuve Blanche confirme son talent en pleine ascension. Avec cette série, j’ai l’impression que l’auteur a trouvé sa voie : celle du thriller japonais aussi psychologique que poétique et profondément humain.

L’histoire en quelques mots

Un youtubeur relance l’affaire de la Veuve blanche, tueuse en série qui a terrorisé Tokyo au début des années 2000 avant de mourir dans un incendie, juste avant son arrestation. Mais quand le détective privé Junichi Kudo découvre que de nouveaux meurtres reprennent son mode opératoire, le doute s’installe : et si la Veuve blanche n’était jamais morte ?

Junichi Kudo décide de reprendre l’enquête. Ses recherches le mènent dans le monde des « évaporés », ces disparus volontaires qu’on appelle les jouhatsu. Et lorsqu’il disparaît à son tour, Hayato Ishida et Noémie Legrand de la Cellule Sakura se lancent à sa recherche. Leur quête les entraîne dans un Japon fracturé, hanté par ses fantômes, où passé et présent s’entrelacent dans un ballet funeste.

Le récit alterne deux temporalités : les années 1990, avec l’histoire touchante de la Veuve blanche, et 2024, où nos enquêteurs se lancent dans leurs recherches.

Une atmosphère envoûtante

Dans ce thriller, ce qui frappe avant tout, c’est l’atmosphère. Cyril Carrère ne décrit pas le Japon, il le fait vivre, respirer, vibrer. Chaque lieu, chaque geste, chaque mot sonne juste. On sent le travail de terrain et de recherches, mais surtout l’amour sincère d’un auteur qui y vit depuis une dizaine d’années et qui le regarde sans cliché, avec pudeur et précision.

Les jouhatsu, les évaporés

L’auteur s’empare d’une thématique fascinante et méconnue : celle des disparus volontaires, ces hommes et femmes qui s’effacent du monde comme on referme une porte. Chaque année, 100 000 Japonais disparaissent ainsi. Les raisons ? Les dettes, la honte, la faillite d’un mariage, la perte d’honneur. Des sociétés les aident à s’évaporer, tout un business s’est construit dans la plus grande légalité autour de ce phénomène. Et puisque disparaître n’est pas un crime au Japon, la police ne les recherche pas.

Au cœur du roman, une phrase revient comme un souffle : « Rien ne sert de mourir, il faut savoir disparaître. »

Tout est là. Entre fuite et réinvention, mort sociale et survie intérieure, l’auteur explore cette frontière floue entre l’effacement et l’identité, entre ce qu’on choisit de taire et ce qu’on veut sauver. Le roman questionne notre rapport à la disparition.

Des personnages d’une belle profondeur

On retrouve avec plaisir Hayato Ishida et Noémie Legrand, toujours aussi contrastés, attachants et terriblement humains. Leur complicité s’est approfondie pour notre plus grand plaisir. L’auteur excelle dans l’art du non-dit : les regards, les silences, les gestes suspendus. Ce duo nous tient à cœur.

Mais c’est la Veuve blanche -Ayumi Inoue- qui est au cœur de ce roman. Avec un autre formidable personnage dont je ne parlerai pas pour éviter de spoiler l’histoire. Oui, c’est une tueuse en série. Mais Cyril Carrère opère un tour de force : il nous la révèle sous un visage inattendu, beaucoup plus humain qu’on ne l’aurait imaginé. À travers les chapitres qui retracent son passé, on découvre une femme brisée, piégée, infiniment plus complexe que le monstre décrit dans les médias. J’ai fini par m’attacher à elle, par ressentir de l’empathie pour cette femme dont la vie s’est fracassée bien avant qu’elle ne devienne ce qu’elle est devenue. Un personnage bouleversant, qui hante longtemps après la dernière page.

Une construction d’orfèvre

L’intrigue, ciselée comme un origami, se déploie avec précision et élégance. Le rythme est soutenu sans jamais céder à la facilité. Pas de surenchère, pas de twists gratuits, non… mais une tension constante, une montée en puissance jusqu’à un final fort émouvant.

En résumé

En refermant ce livre, on a le sentiment d’avoir voyagé — pas seulement au Japon, mais au cœur des personnages et de tout ce qu’ils ont choisi d’effacer pour continuer à vivre.

Cyril Carrère a osé prendre des risques pour sortir du cadre formaté de nombreux polars. Le Crépuscule de la Veuve Blanche est magnifique, il confirme la Cellule Sakura comme l’une des séries les plus singulières et inspirées du polar francophone.

Je remercie chaleureusement les éditions Denoël pour leur confiance.

Quatrième de couverture

Rien ne sert de mourir, il faut savoir disparaître. Un youtubeur suscite l’engouement en remettant en lumière l’histoire de la Veuve blanche, une tueuse en série aujourd’hui disparue qui a terrorisé Tokyo au début des années 2000. Lorsque Junichi Kudo, détective privé dont le destin a été broyé par cette femme apprend que d’autres crimes ont été commis selon le même modus operandi, il décide d’enquêter. Il s’engouffre seul dans le monde des « évaporés », où la Veuve blanche pourrait avoir trouvé refuge. Bientôt, il disparaît à son tour. Hayato Ishida et Noémie Legrand, de la cellule Sakura, partent sur ses traces. Ils plongent dans les méandres d’un Japon fracturé et mettent au jour un puzzle funeste, où les fantômes d’hier continuent de hanter le présent.

Editeur : Denoël, 400 pages, date de sortie : 8 octobre 2025

16 commentaires sur « Le crépuscule de la Veuve Blanche – Cyril Carrère »

  1. J’ai acheté ce roman au dernier Festival Sans Nom où Cyril Carrère a reçu le prix du roman L’Alsace grâce à ce livre. Il me tarde de le découvrir et votre article fait envie.
    Merci.

    Aimé par 2 personnes

  2. merci Nadia pour cette chronique. J’ai très envie de me lancer dans cette série.

    j’aime les intrigues qui nous plongent dans une culture différente. J’ai lu aussi das thriller israélien notamment, d’autres se déroulant en Mongolie…

    va falloir un grand sapin cette année 🤣

    Aimé par 2 personnes

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